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  Louis Aragon et Elsa Triolet 

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Dialogue d'outre-tombe

Dialogue d’outre-tombe 
 
Entre Florence Saillen 
(4.11.1982 - ?) 
 
Et Louis Aragon 
(3.10.1897-24.12.1982)
 
 
 
Florence : Cela fait trente ans, monsieur Aragon. Trente ans que vous nous avez quittés. 
 
Aragon : Le temps n’existe plus là où je suis… Mais pourquoi cet entretien ? Je ne vous connais pas… Que me voulez-vous ? 
 
F : Eh bien… j’aimerais d’une part commémorer le jubilé des 30 ans de votre disparition, et d’autre part, m’entretenir avec vous de divers sujets qui me tiennent à cœur depuis un certain temps déjà ! 
 
A : La curiosité me pousse à rester…. Vous êtes mademoiselle… ? 
 
F : Appelez-moi Florence. 
 
A : Très bien, Florence. De quoi désirez-vous parler ? 
 
F : De vous, monsieur Aragon et de la place que vous avez prise dans ma vie avec Elsa, votre muse et épouse. 
 
A : Vos yeux brillent d’une flamme qui m’interpelle… est-ce en rapport avec ce que vous venez de dire ? 
 
F : Une flamme ? Il se peut fort bien que vous ayez raison. J’aimerais que vous sachiez, en ce début d’entretien, que votre existence et vos mots ont chamboulé ma vie et lui ont redonné un sens perdu depuis bien longtemps.  
Quant à mes yeux, ils reflètent le ravissement de vous voir enfin et la joie de se plonger dans les vôtres, au risque, quoique improbable, de s’y noyer… 
 
A : Heureux de l’entendre, mais ne pensez-vous pas que vous exagérez un peu ? 
 
F : Non ! 
 
A : En quoi notre existence aurait-elle pu changer la vôtre ? 
 
F : Par l’amour qui vous unissait l’un à l’autre. 
 
A : Et ? 
 
F : Et quoi ? C’est bouleversant de beauté !  
 
A : Ah ! Et que savez-vous au juste de notre amour ?  
 
F : Ce que j’en sais ? Mais il est à l’origine de vos œuvres respectives, bon sang ! Sans cesse, elles se cherchent et se répondent mutuellement. Et c’est cet amour qui a promu Elsa au rang de muse! Oh ! Comme j’envie cet amour total, infini, passionné. Cet amour qui brûle l’être et lui fait donner tout ce qu’il a de meilleur et parfois de pire en lui…  
 
A : J’entends ce que vous dites, Florence, et j’aimerai savoir où vous vous situez dans cet amour que j’éprouve pour Elsa ? 
 
F : Je me sens proche, si proche ! 
 
A : Expliquez-vous donc ! Comment pouvez-vous vous sentir proche d’un couple que vous n’avez jamais approché ? 
 
F : Je veux bien essayer, mais soyez patient ! Ne brusquez pas le fragile raisonnement qui m’habite ! 
 
A : Nous avons tout le temps, allez-y. Mon impatience n’est due qu’à l’incompréhension momentanée que je ressens en vous écoutant…  
 
F : Reprenons… 
 
J’ai fait votre connaissance (littéraire bien entendu) par le plus grand des hasards. Un de vos tomes poétiques m’ayant été offert, je l’ai feuilleté et suis tombée sur un passage qui m’a violemment bouleversée. J’ai appris ce poème par cœur et j’ai ressenti le besoin irrépressible de connaître l’homme qui l’avait écrit. 
 
C’est avec un acharnement proche de l’obsession que je me suis attelée à cette tâche, et cela m’a beaucoup enrichie. J’ai ainsi mieux compris une époque, un parti (communiste en l’occurrence), un mouvement littéraire (le surréalisme), la Résistance lors de la seconde guerre mondiale (à laquelle vous aviez une part très active avec Elsa), etc., la liste est encore longue ! 
 
Et je l’avoue, je suis tombée en amour pour votre couple. Voilà… vous savez… presque tout ! 
 
A : Quel était le passage qui vous a marqué ? 
 
F : Il s’agit d’un poème intitulé «Le Bras», tiré du livre «Voyage de Hollande et autres poèmes». Voici l’extrait :  
 
«Ainsi qu’une île Borromée 
Ce bras qui te tient enfermée 
Ce bras pourtant de violence 
Où bat le sang de mon silence 
Ne sait rien faire que t’aimer». 
 
Ce passage m’a marquée au fer rouge et a ouvert en moi une brèche qui n’a depuis, jamais été comblée.  
 
A : Étonnant que vous me citiez ce passage, ce n’est pas un poème connu. Et vous dites que ces quelques lignes ont suffi pour vous enflammer à mon égard ? Si je peux me permettre, qu’ont-elles réveillé en vous ?  
 
F : Cet extrait du «Bras» a provoqué un cataclysme d’émotions en moi. En cause, la diversité des thèmes en si peu de mots. Dans l’ordre : enfermement, violence, silence, amour. On commence par toutes sortes de sentiments pour aboutir à l’amour : «ne sait rien faire que t’aimer…».  
 
Malgré tout, malgré la pauvreté de ma vie, son côté sombre et mouvementé, joyeux et tourmenté, je t’aime et rien n’existe à part cela. Et au contraire, tout y aboutit ! Voilà la façon dont ce passage me parle, monsieur Aragon, et comment il me rejoint dans la profondeur de mes entrailles... 
 
A : … 
 
F : Vous ne dites rien ? Ces propos vous heurtent-ils ? Si tel est le cas, vous m’en voyez désolée… Je sais, par expérience, qu’un même texte peut être interprété de manières différentes selon la personnalité et les sensibilités de chacun.  
 
A : Vous méprenez la signification de mon silence, Florence. Simplement, vous m’ébranlez par votre franchise à fleur de peau. Je ne sais que dire, à part le fait que je suis honoré par votre réaction. Quant à savoir si elle est excessive ou non, ce n’est pas à moi d'en juger. Je respecte profondément la lecture que vous faite de ce bref extrait. Cependant, aimer un poème est une chose, mais pourquoi cette passion si vive pour notre couple ? 
 
F : Parce que je suis une amoureuse de l’amour, le vrai, le beau, le pur. Celui qui peut être fou ou passionné, doux, tendre et rarement raisonné… 
 
A : Je vous arrête ! «Amoureuse de l’amour», c’est plutôt un lieu commun, non ? 
 
F : L’amour, un lieu commun ? Vous me poussez dans mes retranchements…. 
 
A : Pas l’amour, mais l’expression utilisée, voyons ! 
 
F : Peut-être ! Mais qu’importe, cette expression me parle, voyez-vous !  
Je me suis donc intéressée au couple, pour la simple et bonne raison que je suis sûre que c’est une clé pour mieux vous comprendre.  
 
Monsieur Aragon, si je vous disais que je vous aime, quelle serait votre réponse ? 
 
A : Je vous répondrais, Florence, que vous aimez l’image que vous vous faites de moi. Mais est-ce bien la réalité ? Nous connaissons-nous de manière intime ? Non, bien sûr ! 
 
F : L’argument pourrait porter, mais vos œuvres ne parlent-elles point de vous ? De ce que vous êtes ? L’ensemble de vos écrits ne dépeignent-ils pas l’homme ? Je vous aime à travers vos mots, vos silences mais aussi vos innombrables non-dits. Peut-on décrire un coup de foudre littéraire ? Me trompé-je à ce point ?  
 
Au fil de mes lectures, j’ai appris à aimer Elsa et j’ai ressenti dans mon être l’amour particulier que vous lui portiez. J’ai trouvé la force de vivre et de combattre en m’abreuvant à la source même de votre amour. .. Le fondement de votre œuvre se base sur vos sentiments pour Elsa. Au fond, je l’ai toujours su ! 
 
A : Bon, admettons. Et qu’attendez-vous de moi ? 
 
F : Sur le plan concret, pas grand-chose. 
 
A : Et sur les autres plans ? Physiquement, je ne suis plus là… 
 
F : Physiquement oui, mais qu’en est-il de ce que vous laissez ? Vos écrits vous survivent, des vocations d’écrivains se découvrent. Le chant de votre âme et de celui d’Elsa ne s’éteindra jamais, pour autant qu’on vous lise et que les mots nous forment à votre suite ! 
 
A : C’est donc dans un registre abstrait que vous tenez à moi ? 
 
F : Bien sûr que non, il n’y a rien de plus réelle que l’influence que vous avez eue sur moi ! Grâce à vous, j’ai une haute opinion de l’amour, celui qui transforme une vie et la rend belle malgré l’adversité. Ma façon d’écrire s’est épanouie et je sais désormais mettre à nu mes émotions. Et puis, je reconnais ceux qui font partie de votre famille… 
 
A : Pardon ? Que voulez-vous dire ? De quelle famille parlez-vous ? Nous n’avons pas eu d’enfants avec Elsa ! 
 
F : Je sais bien ! Je parle de la famille des écrivains. D’instinct, je reconnais les vôtres. Je ressens leur cœur de poètes et de magiciens des mots. Tout ça grâce à vous. Car je crois en des liens invisibles qui nous relient et forment des ponts entre les êtres. Ceux qui manient les mots ont une arme redoutable en leur possession. Un mot peut être doux comme une caresse ou cassant comme une injure. À chacun d’y mettre le sens que son âme veut bien dévoiler. Et si les âmes sœurs existent, vous êtes la mienne, je n’en doute pas ! 
 
A : Tant de candeur dans votre discours ! Vous me faites là une déclaration d’amour que je ne risque pas d’oublier. Et si cet amour nourrit votre vie et vous fait avancer, vous m’en voyez heureux.  
 
F : Ma déclaration est intemporelle, monsieur Aragon. Car c’est en vous côtoyant, Elsa et vous, que j’ai enfin pu me libérer de toutes ces chaînes qui m’entravaient. Désormais, je suis une femme libre, heureuse et aimant passionnément la vie. 
 
Notre rencontre littéraire m’a fait grandir et le fruit que je suis a mûri et s’est enfin détaché de l’arbre. Je veux être une saveur, une couleur et un goût particuliers pour ceux qui s’approcheront de moi. 
 
Mon seul bonheur désormais est celui «d’Être», tout simplement. Vous êtes une des sources de mon épanouissement, et je vous en serai éternellement reconnaissante. 
 
A : Je me permettrai un conseil, mademoiselle… 
 
Je souhaiterais que vous n’oubliiez pas le poids de la réalité. Prenons l’exemple du couple que nous formions avec Elsa. Nous étions écrivains et nos relations se situaient sur deux plans très différents : littéraire et intime. Le tout, et je le dirai avec la sincérité la plus absolue, est de concilier les deux… Pieds sur terre et têtes dans les étoiles, mais quand les corps s’unissent, c’est ici maintenant et nulle part ailleurs….  
 
Continuez votre route, Florence, telle que vous êtes, avec votre entrain, votre fraîcheur ainsi que votre fougue naturelle. La part de rêve et d’idéalisation est nécessaire à l’artiste, car il donne ainsi ce qu’il a de meilleur en lui. Gardez l’innocence qui vous habite, c’est elle qui vous aidera à toucher le cœur des gens.  
 
Pour ma part, je retourne aux côtés d’Elsa. Elle doit se demander où j’ai bien pu passer… 
 
F : À Dieu ! Monsieur Aragon… et merci pour cet entretien privilégié. La mort ne peut vous engloutir, il suffit de penser à vous pour vous faire revivre… 
 
J’aimerais terminer notre dialogue par une prose que je vous ai dédiée il y a bien longtemps. Et je vous offre une rose, la rose de votre amour pour Elsa, celle précisément qui est le lien entre vos deux œuvres…. 
 
De toi  
Je n’ai de toi que des mots abandonnés sur des pages blanches 
Des mots de feu des mots de larmes 
Des mots pleins d’âme 
Je ressens ta pensée je la rejoins sans jamais la saisir 
Je te laisse m’envahir 
 
Dans le silence de l’aube ton chant se fait écho 
Un doux murmure 
Une mélodie légère 
Le passé ne m’apporte plus que ce parfum de ton être 
Qui déjà n’est plus 
 
Plainte ou complainte que sais-je 
La vie souvent balance d’une rive à l’autre 
Que choisir 
L’eau la terre le feu l’air enfin se rejoignent 
Et s’unifient 
 
Caméléon que tu es 
Tu sais être ou ne pas être paraître ou encore sembler 
Sans te dévoiler 
Mon cœur mon corps mon esprit en un instant s’enflamment 
Avec un seul désir Te chanter 
 
2004) 
 
 
 
Fin 
Florence Saillen – 16-26.08.2012  

(c) Florence Saillen - Créé à l'aide de Populus.
Modifié en dernier lieu le 5.09.2012
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